La directive SMA a pour mission d’organiser un régime juridique nouveau remédiant au déséquilibre grandissant liberté de création/droit d’auteur d’un modèle devenu aujourd’hui obsolète.
Résumé des épisodes précédents
De nombreuses consultations ont été menées sur plusieurs années avec les auditions au Conseil d’Etat par le CSPLA (Mission Mochon en 2019 puis en 2020). C’est ce qui a permis à la Guilde des vidéastes de formuler ses inquiétudes à plusieurs reprises pour les métiers de la webcréation.
La Guilde des vidéastes avait, en juillet, déconseillé un passage en force de la réforme de l’audiovisuel par le biais d’ordonnance (voir l’article), puis averti le gouvernement en octobre par une lettre ouverte à la Ministre de la Culture (voir l’article), avant d’alerter sur la transposition de la directive en janvier (voir l’article). Ces exigences de clarté et de proportionnalité semblent commencer à être entendues notamment à la lecture des préconisations de la Fédération Européenne des éditeurs européens qui a proposé à la Commission Européenne d’implémenter un régime alternatif de vérification de contenus (voir l’article).
L’objectif affiché depuis maintenant plusieurs années est de trouver un système rééquilibré alliant :
- Le respect du droit d’auteur : les ayants droits doivent être rassurés quant au respect de leurs droits;
- La liberté de création : les vidéastes doivent pouvoir mettre en ligne du contenu librement à travers des exceptions équivalentes aux autres supports de contenus culturels ;
- La proportionnalité : les plateformes doivent pouvoir autoriser ou non la circulation de contenus dans un cadre approprié.
Le but à atteindre pour la Commission Européenne est d’enfin parvenir à une conciliation équitable entre les droits de tous malgré des intérêts d’apparence antagonistes au risque de ne pas parvenir à pallier à une insécurité juridique qui progresse depuis près de 10 années maintenant.
Ce mois de février 2021 annonce alors la dernière ligne droite pour implémenter un système adapté aux réalités des professions de la webcréation. Roselyne Bachelot, lors de son audition avait présagé devant l’Assemblée Nationale un calendrier législatif serré, visant un passage de la transposition au printemps 2021 pour une application l’année même.
Le blocage de contenu illégal après sa mise en ligne ?
Aujourd’hui, le système utilisé pour la mise en ligne de contenus est le blocage détecté par un algorithme après la mise en ligne d’un contenu.
Le ou la vidéaste poste alors son contenu qui est malheureusement détecté comme étant une infraction probable au droit d’auteur par l’OCSSP (Online Content-Sharing Service Providers : les plateformes). Le contenu est alors immédiatement bloqué après sa publication et le ou la vidéaste n’aura plus qu’à formuler une plainte officielle auprès de la plateforme pour voir son contenu débloqué.
Par exemple, un.e vidéaste utilise l’exception de citation pour illustrer ses propos. Il ou elle utilise donc des propos protégés qui ne sont pas les siens. Mais il s’agit bien d’une citation courte, justifiée avec des sources. Sa vidéo est alors bloquée après sa mise en ligne et la personne doit formuler une plainte à la plateforme pour la débloquer et faire valoir son exception.
En plus de représenter une charge immense pour des plateformes déjà bien engorgées, un tel fonctionnement est alors extrêmement handicapant pour les vidéastes qui voient leur contenu bloqué dans les premières heures qui sont pourtant cruciales dans cette économie. Le ou la vidéaste ne peut plus qu’être passif.ve face à un tel fonctionnement et subir l’avis de la plateforme concernée.
C’est l’OCSSP qui décide unilatéralement du degré de potentielle infraction pour bloquer le contenu, ne laissant pas place à une circulation efficace des « bons » comportements à avoir pour éviter de tels blocages.
Vers un système déclaratif en amont ?
Dans ce système, deux chemins parallèles sont proposés au vidéaste qui met en ligne son contenu : un système déclaratif ou le système classique que nous venons de décrire ci-dessus.
Dans le premier système, le ou la vidéaste aurait le choix d’uploader son contenu et pourrait choisir de déclarer et identifier une exception dans sa vidéo. En montrant ainsi « patte blanche », son contenu restera en privé le temps pour la plateforme d’examiner la véracité d’une telle déclaration et si l’exception est considérée comme valide. Si l’utilisation n’est pas considérée comme légitime, le contenu suspendu sera formellement étiqueté comme infraction et sera bloqué, laissant le droit au ou à la vidéaste de formuler une plainte auprès de la plateforme concernée.
Dans le second système, le ou la vidéaste déclare l’utilisation d’aucune exception parce qu’il n’y en a pas ou bien qu’il ne souhaite pas le faire, on retrouve alors le circuit de détection après la mise en ligne du contenu.
En reprenant l’exemple de l’exception de courte citation, au moment de l’upload de la vidéo, le ou la vidéaste déclare utiliser légitimement une exception. Sa vidéo reste en privé en attendant l’examen de la plateforme. Si tout est ok, alors sa vidéo est mise en ligne normalement. S’il est considéré que le ou la vidéaste ne fait pas usage correctement de l’exception alors le contenu est bloqué et ne sera pas mis en ligne.
L’avantage d’une telle méthode serait de permettre aux vidéastes de s’exprimer avant tout contentieux pour faire valoir leurs arguments, autorisant une plus grande flexibilité pour les vidéastes consciencieux. De plus, le contrôle qui se fait après la déclaration de vidéaste pourrait limiter les blocages sans suite, un des écueils du vieux système. En effet, si l’algorithme sait quoi chercher, l’examen ira plus vite et ne risquera pas de sanctionner trop largement.
Aussi, la menace pour les ayants droits sera amoindrie, puisque le contenu potentiellement litigieux sera examiné avant sa mise en ligne et non après.
Ainsi, en plus de désengorger massivement les mécanismes de plaintes, un tel système pourrait favoriser une plus grande responsabilisation et information des vidéastes qui pourront mieux connaître les bonnes pratiques et comment utiliser sereinement les exceptions au droit d’auteur.
Prochainement dans la série ARTICLE 17 …
Il n’y a plus qu’à attendre le verdict des décisions prises par la Commission Européenne, mais on ne peut que se réjouir d’une compréhension plus fine du métier de vidéaste.
Toutefois, cette proposition ne répond pas complètement à la nécessite de voir apparaître un tiers arbitre fort qui permettrait à la plateforme de ne pas subir la responsabilité qui lui incombe encore très largement. Puis qu’aujourd’hui le système ne met l’ayant droit qu’en position de juge et partie, ce qui déséquilibre les différends avec les créateur.ice.s.
Enfin, l’un des risques à éviter serait d’adopter un raisonnement similaire à la proposition de l’Allemagne qui préfère établir des seuils au-delà desquelles une exception ne pourrait pas être caractérisée. Par exemple, le 27 janvier 2021 Euractiv rapportait qu’un extrait visuel ne pourra excéder 15 secondes (au lieu de 20 avant) au risque d’être une infraction. Cette disposition s’appliquerait donc de la même manière pour une vidéo de 2 min que pour un court métrage de 30 minutes. Une telle disproportion ne permettrait pas de qualifier correctement les exceptions.
Par ailleurs, la France semble être pour le moment, le seul pays à ne pas appliquer la notion de proportionnalité pourtant sollicitée par les plateformes et les créateur.ice.s depuis le début.
De manière plus générale, ce cadre sonnerait alors comme un “relent” des premières versions de “l’article 13” où l’ayant droit aurait systématiquement raison et où toute notion de proportionnalité était oubliée. Les exceptions au droit d’auteur ont donc besoin d’être définies plus précisément et intelligemment pour permettre aux vidéastes d’exercer leur métier en toute connaissance de cause.
La Guilde des vidéastes espère encore une fois pour l’ensemble des parties prenantes, voir appliquer un système juste et équilibré laissant une place légitime aux exceptions au droit d’auteur, autant bénéfiques pour les vidéastes, que les plateformes et les ayants-droits.